À l’abri des halls principaux où déambulent, non sans tituber parfois, un public plutôt jeune, nous sommes attendus au premier étage du hangar 7. Une centaine de jurés s’y pressent, amateurs avertis et professionnels de la filière confondus. Après ce premier sas, les dégustateurs se séparent au gré de leur affectation. Nous tournons à droite : cap sur l’est et le Languedoc. Nous étions convoqués à 10 h ; nous découvrons la table qui aura eu le temps de nous attendre à 12 h. Au menu ,16 cuvées de Corbières représentant à part égale les millésimes 2021 et 2022 et la très grande richesse de ses terroirs aux composantes géologiques particulièrement différenciées. Sur le papier, pas de quoi effrayer les œnophiles ! Toutefois, un des membres de notre assemblée nous quitte : peut-être fut-il effarouché par l’attente éprouvante durant laquelle exposants et jurés partageaient leur avis sur la venue du président, que d’aucuns jugeaient traditionnelle, d’autres déplacée en vertu du contexte. Toujours est-il que nous ne serons donc que cinq à noter collectivement les vins présentés, avec pour mission de sélectionner les meilleurs. Les critères de notation sont simples : 16, c’est une médaille de bronze, 17, d’argent, au-delà, c’est l’or.

À mes côtés, un œnologue, Bernard REHS, un retraité, un vigneron et une amatrice venue appliquer les recommandations reçues lors de la formation qu’ont suivie la plupart des jurés non issus de la filière viticole. Organisée moins d’un mois avant les épreuves, la session était un condensé des bases de la dégustation, de la description visuelle de la robe du vin à l’analyse organoleptique de ses propriétés olfactives et gustatives ; le tout guidé par un lexique aromatique et un schéma de l’équilibre du vin. Du sérieux, en somme, car, il ne s’agirait pas de prendre les choses à la légère. Si certains affirment parfois que les médailles sont distribuées arbitrairement par des jurés venus goûter à l’œil des nectars enivrants, le concours général agricole a tout pour les faire mentir.

L’importance de la médaille en grande distribution

D’une part, parmi les vins présentés lors de la première étape régionale du concours, seules 40 % des cuvées ont été retenues ; un premier écrémage qui garantit la compétitivité du sprint final. D’autre part, les jurés ont conscience de leur responsabilité vis-à-vis des vins qu’ils choisiront de retenir ou pas. Viticulteur proche de la retraite, Didier n’a jamais présenté ses vins au concours en raison de la confidentialité de sa production qu’il écoule en direct. Toutefois, il sait combien l’obtention d’une médaille est décisive et nous explique pourquoi. « Dans le contexte actuel de surproduction, des millions d’hectolitres de vin ne trouvent pas leur public. Se distinguer parmi l’offre pléthorique des produits d’entrée de gamme est un atout, d’autant plus qu’on sait que les consommateurs prêtent attention aux médailles lorsqu’ils achètent leur vin en grande distribution. »

Nous voilà donc prévenus au moment où débute la dégustation à l’aveugle, condition évidemment requise pour juger des vins en toute impartialité. Nous commençons par les 2021, un millésime marqué par les épisodes de gel dans le Languedoc, comme dans beaucoup d’autres vignobles de l’Hexagone. Notre médiateur de table, l’œnologue des domaines languedociens de la famille Fabre et juré du concours depuis 1998 lance les hostilités. Profitant de ses 25 ans d’expérience à ce poste, nous l’interrogeons au sujet de la mauvaise réputation des médailles, imméritée à ses yeux pour ce qui est de celles décernées dans le cadre du concours général. « Déjà, il faut savoir qu’avant d’arriver à Paris, les vins ont été pré-sélectionnés en région. Ensuite, la réglementation du concours établit un quota sélectif : les jurés ne peuvent attribuer que huit médailles maximum, et très souvent, on en élimine à regret. Après, il arrive parfois qu’on tombe sur une sélection décevante. C’est la loi de l’arbitraire des séries. Les 16 cuvées qu’on déguste se retrouvent en concurrence en vertu du plus pur hasard. On peut avoir sur notre table 16 vins excellents et on ne pourra en récompenser que huit, cependant qu’à côté, ils n’attribueront que deux médailles, car ils auront hérité d’une moins bonne sélection. »

Serons-nous soumis au supplice d’une élimination aussi cruelle ? À en juger par le premier vin, nous pouvons nous rassurer, tous ne méritent manifestement pas une médaille. Mais attention, notre médiateur nous met en garde : « le vin qui passe en premier est le plus mal loti, car nos papilles ne sont pas prêtes. » Qu’à cela ne tienne, on convient donc collectivement d’attendre de l’avoir regoûté à la fin du premier tour des 2021 pour statuer sur son sort. En attendant, chacun goûte silencieusement chaque vin, consigne ses premières impressions, et à l’aide de la grille de notation, estime dans le silence de son for intérieur quelle note attribuer. À la fin, c’est la moyenne de celles des cinq jurés qui déterminera l’attribution ou non d’une médaille. Et c’est assurément cet exercice d’harmonisation des ressentis qui est le plus intéressant. Car, si évidemment, chacun a ses propres critères pour juger d’un vin – qui étant plus sensibles à l’excès de bois, qui au manque de complexité – nos goûts personnels passent après le profil et la structure d’une cuvée, éléments qui sont en tout point objectifs. Aussi, même les plus fervents défenseurs du relativisme, adeptes du fameux, « vous savez, les goûts et les couleurs », ne sauraient affirmer qu’un vin desséchant, sinon âpre, est gouleyant et onctueux.

Et force est de constater: la mise en commun de nos impressions est confondante. À peu de choses près, selon la générosité des dégustateurs qui sont plus ou moins frileux à monter sur le 19, nos notes sont quasiment identiques. Résultat : six médailles sont distribuées à l’unanimité. Il reste trois vins en balance pour les deux dernières. Il faut donc goûter à nouveau. Le match se joue entre un vin corsé assez bien fait et son rival au profil plus souple et fondu, presque velouté, détonnant pour l’appellation, et d’autant plus séduisant. Malgré nos efforts pour défendre ce dernier, la démocratie fait loi et à une voix près, un vin que nous aurions aimé récompenser ne le sera pas. Preuve s’il en faut de la compétitivité d’un concours qui compte autant pour les vignerons qui obtiennent sinon une médaille du moins un retour sur la réception du vin qu’ils ont présenté, que pour les consommateurs qui cherchent à être orientés dans leur choix. De quoi contenter les jurés dans leur mission de servir les uns et les autres.